Avant de rentrer à Erevan, Boris et Raphaël me proposent de me conduire au Monastère d’Amaras. Bien que partiellement détruit durant la guerre, l’édifice a été restaurer. Je vis cette dernière excursion comme un pelerinage initiatique. Le monastère d’Amaras a été fondé par Grégoire l’Illuminateur. Il était un grand centre d’étude dans le passé lorsque religion et science étaient encore mêlées. Mesrop Mashtot, le créateur de l’alphabet arménien y a fondé la première École arménienne. Je comprends que c’est avant tout pour l’histoire que les Arméniens revendiquent ce territoire.
Comment déposséder un peuple du lieu où a été fondée sa première école !
Les Khalbaghtsi sont des combattants de l’histoire. Ils symbolisent pour le peuple arménien la dernière muraille contre la désintégration territoriale. Ainsi, de nombreux spyurq hay (membres de la diaspora) les ont rejoints durant la guerre pour participer à la protection de l’identité arménienne. Profondément pacifique et contre la guerre, je comprends néanmoins ce combat. Dans la crypte du monastère, je m’incline devant le tombeau du petit-fils de Grégoire l’Illuminateur. Le tombeau date du septième siècle… Combien de temps, combien de preuves, combien d’efforts de restauration faudra-t-il pour que le monde reconnaisse l’appartenance de ce territoire au peuple arménien. Peu à peu, je comprends également pourquoi le Haut-Karabakh a choisi son indépendance. Il ne s’agit pas d’une annexion de ce territoire par l’Arménie, mais bien du droit d'un peuple à l’autodétermination. Les khalabaghtsi sont les dépositaires de l’histoire de la région. Ils s’opposent au centralisme politique en ne voulant pas que leur destin repose entre les mains des politiciens d’Erevan, surtout lorsque ceux-ci sont prêts à abandonner le Haut-Karabakh pour instaurer de nouvelles relations avec la Turquie.
À travers ce voyage, je prends conscience comment l’identité se forme par l’histoire et dans l’adversité. Je comprends également sa dimension politique. Néanmoins, ma formation en anthropologie me permet d’avoir le recul nécessaire pour ne pas adopter des positions radicales. Je préfère au contraire œuvrer pour la respect des différences culturelles et la réconciliation. Je quitte Stepanakert avec ces problématiques en tête. Je quitte Stepanakert avec mes nouvelles amitiés en tête. Je quitte Stepanakert en faisant le serment de ne jamais oublier le Haut-Karabakh quand je parle de l’arménité.