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vendredi

Après la guerre...




En voiture, Raphael est venu nous chercher au volant de sa petite voiture soviétique. Il est fier de promener un étranger, encore plus un français. Il commence notre tournée du Karabagh par Shoushi. Sur le trajet, nous nous arrêtons au bord de la route. C’est ici que son frère Aram est décédé. Il a reçu une balle en pleine poitrine. Des snipers Azéris étaient placés dans la muraille médiévale qui encercle la ville. Avec des armes modernes, ils perpétuaient les combats du Moyen-âge. 
Raphaël, les larmes aux yeux, explique à son neveu les difficultés qu’ils ont rencontré pour reprendre Shushi aux Azéris. La ville est située sur un plateau bordé de falaises. Ils ont escaladé, ils ont assiégé les occupants jusqu’à les priver de nourriture. Lorsque les Azéris ont capitulé et ont obtenu la permission de fuir par le corridor de Lachin, les Arméniens ont retrouvé leurs munitions dans l’Église. Elle leur servait de planque. La prise de Shushi est sans nul doute un des tournants de la guerre, à la fois psychologique et physique. La bataille fît des milliers de morts des deux côtés. Un dicton arménien dit que "le peuple qui tient Shoushi tient le Caucase !" Nous entrons dans la ville qui porte encore les traces de la guerre. De nombreux bâtiments en ruine sont en cours de reconstruction. C’est le cas de la Mosquée. Un mécène iranien a financé sa reconstruction. Les habitants exécutent sa reconstruction pour manifester leur volonté de vivre en paix, dans le respect. 
Raphaël est nostalgique de ce temps où il faisait ses courses dans le grand bazar, en ruine maintenant. Il se rappelle entendre l’Appel de la prière résonner à travers la ville depuis les minarets. Il se rappelle aussi ses nombreux voyages à Bakou pour les vacances avec ses parents. Aujourd’hui, la frontière est gardée des deux côtés par des snipers et les échanges de tirs sont fréquents. En début d’après-midi, je passe par le ministère des Affaires étrangères pour obtenir mon visa. Avant d’être édité, l’officier me demande les villes que je compte visiter. J’indique plusieurs villes dont Aghdam. L’officier me fait appeler dans son bureau.
- « Aghdam : no permission ». Je demande timidement pourquoi.
- « Not in the frontier ! », c’est tout ce que j’obtiendrai comme réponse.
À la sortie du bureau, Boris et Raphaël m’attendent dans la voiture. Je leur avais parlé de ma volonté d’aller à Aghdam. Je leur explique que je n’ai pas eu la permission. Raphaël n’y prête pas d’importance, nous démarrons…

C’est la première fois aussi que Boris s’approche de la frontière. Il a un cousin militaire qui est réputé pour ses qualités de sniper. C’est à travers ces récits qu’il connaît les lieux. Après être sortis de la ville, être passés devant la gare ferroviaire totalement désaffectée (tous les trains qui partaient de Stepanakert menaient en Azerbaïdjan), nous roulons sur une route remplie de nids de poules. Les habitations se font de plus en plus rares. Avant les remparts d'Ishghevan, j’aperçois une grande base militaire. Caméra au point, je commence à sentir le danger. Je me demande si je fais bien de m’aventurer dans ces territoires ! Mais la soif de connaissance est plus forte que moi ! Et l’adrénaline me pousse à continuer. Le long de la route, nous longeons un cimetière musulman, avec ses pierres uniformes et ses tombeaux. Je suis surpris de voir les sépultures en si bon état. Raphaël m’affirme que les habitants les respectent et les entretiennent de temps en temps. Ces démarches font parties de la volonté des populations de se réconcilier. L'espoir renaît. Mais quelques kilomètres plus loin, nous arrivons à Aghdam. L'ancien chef-lieu du Karabagh, ville déserte, ville défunte. La ville qui comptait 150 000 habitants avant la guerre n'est plus qu'un champ de ruines... des ruines qui s'étendent à perte de vue. Cet espace respire la violence des combats, on sent la mort. Nous ne nous aventurons pas dans les décombres de peur de tomber sur une mine. En plus, nous sommes en toute illégalité. Il ne faut pas tarder. Nous nous arrêtons néanmoins sur le bas-côté pour que je prenne quelques images... 
Raphaël ouvre le capot de sa voiture pour faire mine de laisser refroidir l'engin. Technique intéressante, seulement nous sommes dans une partie du monde où les personnes sont solidaires. La première voiture qui passe s'arrête inévitablement pour nous porter assistance. Je cache la caméra... Ce sont des militaires qui se rendent au front ! Ils sont heureux de ma présence. Ils me racontent les combats et nous affirment qu'ils ne lâcheront pas un centimètre du territoire libéré. Sur ces paroles, nous repartons vers Stepanakert, les images de désastre hantent mon esprit jusqu'à maintenant...




Chenorakal'em Rafo yev Boris.


jeudi

Le corridor de Lachin


Le corridor de Lachin : c’est une zone tampon, traversée par l’unique route qui relie l’Arménie de la République du Haut-Karabakh. Cette route a été reconstruite après la guerre grâce aux fonds arméniens de France et de l’ensemble des pays où s’est constitué la diaspora (Etats-Unis, Russie, Liban, Iran, Canada, Argentine, Brésil, etc…). Cette route a été appelée par les Franco-arméniens « Route de la vie ». De nombreux camions venus d’Arménie et d’Iran la sillonnent chaque jour. La route est plutôt en bon état, mais les nombreux travaux en cours rappellent qu’elle nécessite un entretien permanent. J’ai pris place à bord d’un mashrouka à la gare routière de Goris en direction de Stepanakert. Le tatouage sur la main du chauffeur, entre le pouce et l’index, indique qu’il a participé à la guerre. Le tatouage est flou, probablement réalisé de manière artisanale, à l’encre de Chine. Était-ce son numéro de matricule où un signe distinctif qui aurait permis de le reconnaître s’il avait perdu la vie durant les combats ? Je ne sais pas et je n’ose lui demander.
Après une demi-heure de route, quelques ruines commencent à ponctuer l’horizon. Nous arrivons bientôt à un poste de garde. Le chauffeur me demande de sortir.
- « Check point » me lance-t-il. J’aperçois un agent dans une guérite.
- « Passport ! » 
Il note mon nom dans un cahier et me donne un document que je devrais remettre au ministère des affaires étrangères à mon arrivée à Stepanakert. Je devrais alors m’acquitter du prix du visa. Drôle de procédure que de devoir prendre le visa après être entré dans le pays ! je souhaite prendre une photo, le garde m’en empêche nerveusement. Il m’indique néanmoins un chemin en terre qui part de la route en m’affirmant que là-bas je pourrais photographier. Le sentier mène à une forteresse historique, celle de « Talin ». La photographie aussi à une portée politique. Les arméniens, dans tous les lieux historiques, tentent de prouver que leur présence remonte à plusieurs siècles. Volonté de légitimer leur présence et leurs droits sur/dans ces territoires. J’en ai conscience, sans pour autant en faire l’objet de mon travail. Néanmoins, je suis étonné de n’avoir jamais avoir entendu parlé des arméniens comme peuple autochtone du Caucase. Peut-être trop de fierté pour être ou se considérer comme les « Indiens » des montagnes eurasiennes. En tant qu’anthropologue, l’idée me plait !
Nous continuons la route à travers les montagnes. Certaines vallées sont traversées par des câbles métalliques. Mon voisin, qui d’ailleurs est presque sur mes genoux tellement nous sommes serrés sur la banquette, m’apprend que ce sont des détecteurs de mouvement. Ils informent les militaires de la présence d’hélicoptères.
Nous faisons une pause, après avoir passé une Église fraîchement rénovée. Au-delà de la vie religieuse à laquelle elle répond, ça présence est symbolise l’arménité de la région. Elle s’oppose implicitement aux volontés de l’Azerbaïdjan de récupérer ces territoires. La religion aussi est une arme en politique !
Sur le bord de la route, un relais routier à constituer sa clôture avec des douilles d’obus désamorcés. Bien que calme et verdoyant, de petits détails tout au long du corridor de Lachin rappelle que la guerre hante les lieux et les esprits. Rappelons que cet espace indéterminé a constitué le terrain de fuite des armées turques. Aujourd’hui, dans le droit international, il n’appartient ni à l’Arménie, ni à la République du Haut-Karabakh mais à l’Azerbaïdjan. Ces territoires ainsi que d’autres situés sur la zone-frontière sont aujourd’hui au cœur des pourparlers pour que les cessés les feux deviennent un armistice. Néanmoins peu d’arméniens sont près à rendre ces territoires qu’ils considèrent comme libérés. Pour ceux qui seraient ok, ils ne croient pas à l’assurance d’une paix durable assurée par la présence d’une force internationale, qui d’ailleurs a déjà montré ses limites à plusieurs reprises …