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jeudi

Le corridor de Lachin


Le corridor de Lachin : c’est une zone tampon, traversée par l’unique route qui relie l’Arménie de la République du Haut-Karabakh. Cette route a été reconstruite après la guerre grâce aux fonds arméniens de France et de l’ensemble des pays où s’est constitué la diaspora (Etats-Unis, Russie, Liban, Iran, Canada, Argentine, Brésil, etc…). Cette route a été appelée par les Franco-arméniens « Route de la vie ». De nombreux camions venus d’Arménie et d’Iran la sillonnent chaque jour. La route est plutôt en bon état, mais les nombreux travaux en cours rappellent qu’elle nécessite un entretien permanent. J’ai pris place à bord d’un mashrouka à la gare routière de Goris en direction de Stepanakert. Le tatouage sur la main du chauffeur, entre le pouce et l’index, indique qu’il a participé à la guerre. Le tatouage est flou, probablement réalisé de manière artisanale, à l’encre de Chine. Était-ce son numéro de matricule où un signe distinctif qui aurait permis de le reconnaître s’il avait perdu la vie durant les combats ? Je ne sais pas et je n’ose lui demander.
Après une demi-heure de route, quelques ruines commencent à ponctuer l’horizon. Nous arrivons bientôt à un poste de garde. Le chauffeur me demande de sortir.
- « Check point » me lance-t-il. J’aperçois un agent dans une guérite.
- « Passport ! » 
Il note mon nom dans un cahier et me donne un document que je devrais remettre au ministère des affaires étrangères à mon arrivée à Stepanakert. Je devrais alors m’acquitter du prix du visa. Drôle de procédure que de devoir prendre le visa après être entré dans le pays ! je souhaite prendre une photo, le garde m’en empêche nerveusement. Il m’indique néanmoins un chemin en terre qui part de la route en m’affirmant que là-bas je pourrais photographier. Le sentier mène à une forteresse historique, celle de « Talin ». La photographie aussi à une portée politique. Les arméniens, dans tous les lieux historiques, tentent de prouver que leur présence remonte à plusieurs siècles. Volonté de légitimer leur présence et leurs droits sur/dans ces territoires. J’en ai conscience, sans pour autant en faire l’objet de mon travail. Néanmoins, je suis étonné de n’avoir jamais avoir entendu parlé des arméniens comme peuple autochtone du Caucase. Peut-être trop de fierté pour être ou se considérer comme les « Indiens » des montagnes eurasiennes. En tant qu’anthropologue, l’idée me plait !
Nous continuons la route à travers les montagnes. Certaines vallées sont traversées par des câbles métalliques. Mon voisin, qui d’ailleurs est presque sur mes genoux tellement nous sommes serrés sur la banquette, m’apprend que ce sont des détecteurs de mouvement. Ils informent les militaires de la présence d’hélicoptères.
Nous faisons une pause, après avoir passé une Église fraîchement rénovée. Au-delà de la vie religieuse à laquelle elle répond, ça présence est symbolise l’arménité de la région. Elle s’oppose implicitement aux volontés de l’Azerbaïdjan de récupérer ces territoires. La religion aussi est une arme en politique !
Sur le bord de la route, un relais routier à constituer sa clôture avec des douilles d’obus désamorcés. Bien que calme et verdoyant, de petits détails tout au long du corridor de Lachin rappelle que la guerre hante les lieux et les esprits. Rappelons que cet espace indéterminé a constitué le terrain de fuite des armées turques. Aujourd’hui, dans le droit international, il n’appartient ni à l’Arménie, ni à la République du Haut-Karabakh mais à l’Azerbaïdjan. Ces territoires ainsi que d’autres situés sur la zone-frontière sont aujourd’hui au cœur des pourparlers pour que les cessés les feux deviennent un armistice. Néanmoins peu d’arméniens sont près à rendre ces territoires qu’ils considèrent comme libérés. Pour ceux qui seraient ok, ils ne croient pas à l’assurance d’une paix durable assurée par la présence d’une force internationale, qui d’ailleurs a déjà montré ses limites à plusieurs reprises …  


dimanche

La bénédiction du raisin

Dimanche 15 août 2010,

Tous les 15 août, le jour de l’assomption, le Clergé de l’Eglise arménienne bénit le raisin devant les fidèles. La Cérémonie religieuse consacre le fruit de la vigne. Avant de parler du rituel, que je découvrais pour la première fois, je tiens à partager quelques remarques sur le raisin. Probablement mon côté franchouillard ! Bien que d’ « essence divine », la vigne ne peut se reproduire sans l’intervention humaine. Certes, elle produit des pépins, mais ceux-ci sont infertiles. Seule la bouture lui permet de se propager. C’est ainsi qu’on parle de cépage.
J’ai découvert cela lorsque je menais une étude sur le manioc en Amazonie brésilienne et au Cameroun. N’ayant été initié dans ma jeunesse ni à la vie religieuse apostolique arménienne, ni catholique, je ne connais les rituels chrétiens qu’à travers les baptêmes, les communions et les mariages auxquels j’ai été invité. J’ai consulté la Bible à plusieurs reprises et je me suis rendu à plusieurs messes. Aujourd'hui par exemple, j'ai appris que pour les arméniens, le Christ faisait le signe ci-contre. Les trois doigts représentant la trinité, tandis que la jonction entre le pouce et le majeur représente l'alliance des mondes matériel et spirituel. Durant mes études d’anthropologie, j’ai renouvelé régulièrement l’expérience dominicale pour comprendre comment se structuraient les rituels chrétiens et produire une description de l’office à la manière dont Émile Durkheim décrit les rituels pratiqués par les indigènes. Dès ma Licence, je n’admettais pas cette différenciation de traitement entre « Eux » sauvages et « Nous » civilisés. Je m’inspirais du style développé dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, pour décrire les messes catholiques. Les Catholiques devenaient les Indigènes de mes recherches ! Mais je les traitais avec bien plus d’égards que le clergé a pu le faire durant l’Histoire.
À Echmiadzin aujourd’hui, des grappes de raisin avaient été installées sur un autel extérieur dans l’enceinte du Saint Siège. Après la messe, Sa Sainteté Garegin II, Catholicos et Patriarche de tous les Arméniens, son cortège et des fidèles ont réalisé une procession dans les allées qui mènent de l’Église jusqu’à l’autel. Ils ont récité quelques prières pour bénir le raisin qui a ensuite été distribué à la foule. Sur l’autel, on pouvait voir un tableau du Mont Ararat et du monastère de Khor Virap. En effet, c’est au pied de cette Montagne Sacrée que la religion apostolique arménienne a commencé, lorsque Grégoire L’Illuminateur a converti le Roi Tiridate en 301. Je me rendrais demain au monastère de Khor Virap pour mieux comprendre les raisons de cette conversion. 


                        Bénédiction du raisin, Hayastan 2010


mardi

Les artistes arméniens

La première semaine du mois de juin, deux mois avant mon départ, j’avais été invité par l’Association des Plasticiens Arméniens de France (APAF) à présenter quelques uns de mes travaux photographiques dans le cadre de l’exposition Diaspo’arts. À cette époque, je ne pensais pas être conduit à réfléchir à la place de mes origines dans ma démarche artistique.
Aujourd’hui, maintenant que je suis en Arménie, je me questionne. Qu’y a-t-il d’arménien dans mes créations ? Vaste interrogation, aussi large que vague…qui revient à poser la question : existe-il un style arménien contemporain ?
Par une bien heureuse destinée, je loge dans la maison d’un de ces artistes : Stepanian. Peintre, sculpteur, illustrateur comme je l’ai présenté dans le post précédant. Dans la multitude de ces créations qui ornent l’espace mural, je reconnais quelques symboles qui m’inspirent également. Les courbes de la montagne Ararat, appelée Masis par les arméniens, les représentations du poète musicien Sayat-Nova, les différentes tentatives pour représenter le Génocide.
Je les retrouve également dans les maisons musées d’Ervand Kotchar et Sergei Parajanov que j’ai visitées.
Mais une autre influence marque mon esprit. Il s’agit du travail sur l’alphabet arménien. La forme des lettres apparaît comme une source d’inspiration pour les artistes, qui les déstructurent, les emboîtent, les mélanges, pour créer de nouvelles formes…
Je regrette de ne pas maîtriser la lecture. Les quelques phrases que je connais m’aident pour voyager, mais je suis chaque fois confronté à l’handicap de ne pas maîtriser l’écriture.
Je décide donc de concentrer mes recherches sur les origines de cette langue arménienne qui remonte au 4ème siècle après Jésus-Christ. Un musée lui est consacrée à Erevan, il s’appelle le Matenadaram.